Jürgen Habermas, on le sait, tient l’usage de communication du langage pour constitutif de la vie sociale : il définit les normes, les valeurs, les rôles nécessaires à toute communauté, il est ce sans quoi il n’y aurait pas même de société possible. Or, cette théorie critique de la morale, du droit et de la démocratie s’appuie sur une pragmatique du langage, elle requiert l’explicitation des catégories qui rendent possible l’entente rationnelle avec autrui à propos de la vérité des faits, de la justesse des actes et des normes : vérité et objectivité, réalité et référence, validité et rationalité. Ces catégories, Habermas les reprend aujourd’hui du point de vue de la philosophie théorique, passée au second plan, chez lui, depuis Connaissance et intérêt (1976). Ici, donc, nulle dissertation métaphysique sur la vérité de l’être, épistémologique sur la connaissance des objets, ou sémantique sur la forme des propositions énonciatives ; mais la formulation nouvelle de deux questions clés pour la philosophie.
D’une part, la question ontologique du naturalisme : comment concilier la contingence du développement historique et naturel des formes de la vie socioculturelle avec la normativité – inéluctable du point de vue des participants à l’activité communicationnelle et propre à un monde vécu structuré par le langage, dans lequel nous nous trouvons » toujours déjà » en tant que sujets capables de parler et d’agir ? D’autre part, la question épistémologique du réalisme : comment concilier le postulat d’un monde indépendant de nos descriptions et identique pour tous les observateurs, avec la découverte de la philosophie du langage, selon laquelle nous ne disposons d’aucun accès direct, non médiatisé par le langage, à la réalité » nue » ? Deux questions qui permettent à Habermas – au terme d’une explication serrée avec les plus récents développements de la philosophie analytique et du pragmatisme américain – de penser à nouveaux frais le rapport entre philosophie théorique et philosophie pratique.